24 avr. 2013

Ce n'est pas sale...





« L’époque, quoi qu’ils en disent, est immorale (si ce mot là signifie quelque chose, ce dont nous doutons fort), et nous n’en voulons pas d’autre preuve que la quantité de livres immoraux qu’elle produit et le succès qu’ils ont. – Les livres suivent les mœurs et les mœurs ne suivent pas les livres. »
Théophile Gautier, Préface - Mademoiselle de Maupin.


Force est de constater que depuis quelques mois les romans érotiques (ou qualifiés de tels) déchainent les passions à défaut de faire naître la Passion.
Ma première réaction quant au tintouin fait autour de certains ouvrages a été une profonde perplexité. Ce n’est pas tant le fait que certaines lectrices semblent avoir découvert récemment (ou à tout le moins affirmé découvrir) qu’il existait une sexualité autre que celle, classique et pudique, se limitant à la position du missionnaire dans une chambre plongée dans l’obscurité, que de voir à quel point certains carcans, les « bonnes mœurs » comme on dit, sont encore tenaces… très tenaces.
N’ayant quant à moi pas lu, pour des raisons qui me sont personnelles, les romans auxquels fatalement vous n’aurez pas manqué de songer – coucou messieurs C.G. et G.C. – je ne me permettrai pas d’en faire une critique ni même de donner le moindre avis ou sentiment les concernant. Et de toute manière, tel n’est pas l’objet de ce billet ; plutôt les réactions que cela a généré.

En tant que lectrice de romances dites classiques et de romances paranormales entre autre, je sais donc que l’érotisme (ou la sensualité si vous préférez) y est très présent, dans un langage plus ou moins cru, avec des scènes plus ou moins détaillées et selon les cas dans un style plus ou moins « féminin » ou au contraire « viril » mais naturellement toujours associé aux sentiments. La volupté se trouve donc être l’un des ingrédients incontournable de ces deux genres au même titre que les beaux gosses ou les beaux ténébreux ou les écorchés de la vie sexy etc. etc…
Outre le fait que ces ouvrages, à quelques exceptions près, évoquent une sexualité somme toute assez classique… (il y a bien parfois quelques petits coquins plus fripons que les autres par-ci par-là) ils mettent systématiquement en scène des… ? Des… ? Des couples !
Aaaah le couple…
LE Couple, sacro-saint duo, seul calice semblerait-il au sein duquel le plaisir  aurait le droit de s’épanouir, s’exprimer, se sublimer grâce aux merveilleux pouvoirs de l’amour !!
Alors, lorsque vous vous avisez d’écorner, même un tout petit peu, cette image d’Épinal… vous voilà vite-fait relégué à la rubrique « pornographie »...
Et si, en plus, un texte, même sans oublier l’ingrédient sentiment met en scène une femme… (non vierge ??? impure ??? Je préfère nettement le terme expérimentée !!) assumant sa sexualité, s’avisant en outre d’avoir plusieurs partenaires pour lesquels elle n’a pas nécessairement de sentiments, parce qu’elle en a envie, recherche le plaisir pour le plaisir… à l’instar de certains hommes, libérée donc, là il semblerait qu’aucun mot ne soit assez fort pour qualifier l’infamie que cela constitue.

Loin de moi l’idée de faire ici une quelconque leçon de morale. C’est pourtant à l’ami Diderot que j’emprunterai quelques mots pour entrer  dans le vif du sujet :
« Le libertinage est la faculté de dissocier le sexe et l’amour, le couple et l’accouplement, bref, le libertinage relève simplement du sens de la nuance et de l’exactitude. » 
Le Libertin (Éric-Emmanuel Schmitt)

Ma motivation première n’était pas de faire de Luxuria une série érotique (je prends cet exemple car il est peut-être plus révélateur de mon point de vue et du message que je souhaitais faire passer que dans la série Siana, encore que…), il est néanmoins vrai que le libertinage et la sensualité y sont des composants présents, et, n’en déplaise à certains, justifiés. Mais d’une manière générale, ces deux sagas démontrent ma volonté de m’émanciper un peu des romances « classiques ».
L’idée d’écrire Luxuria (il y a quelques années déjà et surtout bien avant que les romans traitant de domination/soumission ne soient devenus autant « à la mode ») m’est venue à la suite d’une lecture où l’auteur montrait ce que pouvait être une relation SM mais qui personnellement heurtait ma propre vision de « la chose » et peut-être même ma sensibilité, parce que l’aspect esthétique que peuvent revêtir les pratiques SM (ou BDSM) était totalement occulté au profit d’une certaine violence et de la vulgarité, ce qui est d’ailleurs souvent le cas lorsque ces pratiques sont évoquées. Cela étant, ce n’est pas tant ce point que je souhaitais évoquer dans ce billet que le trio que l’héroïne et deux des démons mâles du roman y forment. Parce que je pense que c’est là que le bât blesse vraiment.
Voyez-vous, sans tomber dans certains excès du « Mouvement de Libération des Femmes », je reste profondément convaincue que les femmes n’en ont pas encore terminé (pour la plupart en tout cas et en dépit de ce que certaines disent) avec le joug des bonnes mœurs, d’une morale étriquée, de la domination masculine et ont encore du chemin à parcourir avant de pouvoir s’affirmer vraiment émancipées et accéder au plaisir pur et simple sans être jugées, ou au moins en arriver à accepter cette idée comme naturelle ou du moins admissible.
Vous n’êtes pas d’accord ?
Pourtant, il n’est qu’à voir (enfin… entendre) les cris d’orfraie poussés lorsqu’une héroïne de roman fait montre de la moindre liberté sexuelle surtout avec celui-qui-n’est-pas-officiellement-destiné-à-devenir-son-compagnon, quand elle couche avec un homme (ou plus) pour lequel elle ne ressent pas de sentiment, ou lorsqu’elle a des rapports avec deux hommes qu’elle aime pourtant sincèrement.

[ Petit rappel au passage, utile me semble-t-il au regard de ce que j’ai pu lire.
Partouze : Partie de débauche au cours de laquelle les participants (dont le nombre excède généralement quatre), pratiquent l'échange des partenaires et se livrent à des activités sexuelles collectives et simultanées.]

Avec un trio, (voir les notions de couples ouverts, polyamours ou amours plurielles… c’est loin d’être rare), où la femme est aimée et sincèrement respectée nous sommes donc encore loin de la partouze et même formidablement loin de la femme utilisée par des mâles lubriques. Parce que cela aussi est souvent pointé du doigt. Pourquoi dès que l’on évoque une femme assumant sa sensualité, sa sexualité, ses désirs, ses fantasmes, son corps… Paf ! Elle se transforme comme par magie en femme objet, honteusement utilisée, dégradée ? N’est-ce pas elle à ce moment-là qui tient les rênes justement ? Parce qu’en vérité, le sexe, s’il est source de plaisir, est aussi source de puissance, de pouvoir. Pourquoi ne toujours regarder les choses que par le mauvais bout de la lorgnette ?
Libérée ou libertine, une femme maîtrise son corps, décide de sa vie sexuelle et amoureuse, hors couple ou en son sein.

J’ai pu en outre constater (et cela m’a profondément troublée) que les premiers à défendre les droits de la femme sont aussi les premiers à huer, mépriser, juger même, une femme qui ne rentre pas dans le moule, une femme qui ne reste pas à sa place de femme : sous un cadre poussiéreux.

Alors, peut-être ceux-là n’auront-ils pas bien lu, ou n’auront pas voulu voir ce qui était vraiment écrit. Sans doute les barrières de sécurité de la société bien-pensante se seront bien vite élevées pour préserver de cette ignominieuse perversité leur très morale conception du couple, du sexe qui se doit d’être strictement régi par des codes parfois obsolètes.
« Autres temps, autres mœurs » ou mœurs d’un autre temps ?

Enfin, pour clôturer ce billet (j’espère que je n’ai perdu personne en route) j’aimerais aborder un très court instant les notions de perversité et de déviance sexuelle.
Deux termes liés à la notion de normalité elle-même édifiée sur des règles religieuses, sociales et culturelles… (et il n’y a pas si longtemps de cela en ce qui concerne le sexe, sur la santé mentale).

Les sociétés et donc les mœurs n’ont eu de cesse de changer au cours de l’histoire… ce qui était normal jadis ou ailleurs ne l’est plus. Ce qui vous paraît normal ne l’était pas jadis et ne l’est pas ailleurs.
Bigre, je crois bien que nous avons affaire à un cercle… vicieux. 

En conclusion, le mépris affiché, parfois hypocrite d’ailleurs, vis-à-vis de pratiques et de désirs recherchés par des personnes adultes et consentantes (ne nuisant à personne donc) me navre profondément.

Mais ça n’est que mon point de vue.

♂♀♂

 « Ce n’est ni dégradant ni sale. C’est une manière différente d’avoir du plaisir, ainsi qu’un moyen d’accéder à une autre sensualité. »
Sio, Luxuria


« Devais-je réellement me restreindre au prétexte que d’ordinaire on ne « doit » aimer qu’une personne ? Qui avait décrété cela ? Et de quel droit ? Pourquoi devait-il systématiquement y avoir des bornes, des interdits, des limites ? Parce que l’amour est un noble sentiment ? Était-ce moins sublime ou honorable d’aimer deux êtres, ou plus, plutôt qu’un seul ? En quoi cela pouvait-il être moins beau si ce que vous aviez à donner était sincère ? »
Sláine, Luxuria


« Peux-tu me dire qui a décrété que le sexe était une mauvaise chose ? Pourquoi une femme devrait se réfréner sous peine de passer pour une salope là où les hommes, pour être considérés comme virils, peuvent multiplier les aventures ? (…) À partir du moment où il y a désir mutuel, le plaisir reste le plaisir quoi qu’il advienne. Et ce sont des personnes à la moralité étriquée, des individus terrifiés par le pouvoir du corps et du plaisir qui affirment le contraire ! »
Téli, Khaos